samedi 12 mars 2011

Ginkgoa Interview

Les dessous du show biz ne sont pas toujours très glamour. Une fois de plus, c’est dans une loge riquiqui (celle de la superbe salle du China), où on a déjà du mal à tenir à deux entre les instruments et costumes de scènes que l’on a retrouvé Antoine, guitariste, auteur, compositeur et fondateur de Ginkgoa (voir mon message du 26 janvier 2011), sympathique formation à la croisée du jazz et de la chanson française. Le temps pour nous d’évoquer ce projet somme toute assez récent et son actualité.

Comment a débuté le groupe ?

Antoine : Par mon envie d’écrire des chansons. J’ai commencé dans mon coin par écrire des morceaux avant de rencontrer Anne-Colombe, la violoncelliste. Et ensuite, fin février 2010, il y eu la rencontre avec Nicolle (la chanteuse, ndlr). A ce moment là, je faisais passer des auditions, j’avais vu environ 40, 50 chanteuses et pas une ne correspondait à ce que je recherchais. La rencontre avec Nicolle est assez étonnante. Une anecdote amusante. J’étais fatigué des coups de téléphone, des auditions. Je me retrouve un soir dans un concert de jazz. Je sors deux minutes prendre l’air et je reçois un message sur mon téléphone, une fille avec un accent américain : « J’ai vu l’annonce, j’aime beaucoup le projet, je voudrais faire l’audition »… Elle me parle un peu d’elle : « j’ai fait Joséphine Baker de Jérôme Savary »… J’étais un peu fatigué, j’ai laissé le téléphone en me disant que j’écouterais cela plus sérieusement le lendemain. Je retourne voir le concert. Dix minutes après une fille assez étonnante et fantaisiste, pétillante et pleine de couleurs rentre dans la salle. Elle vient s’asseoir à côté de moi, me demande si je sais danser le swing. On commence à discuter. Je me dis c’est étonnant, elle ressemble à Joséphine Baker et le même accent que le message sur le répondeur. Je n’osais pas lui demander, j’avais peur qu’elle me prenne pour un fou. Au bout d’un moment je lui dis, je recherche une chanteuse pour mon groupe. Et là elle me dit mais c’est incroyable, j’ai essayé de t’appeler toute la journée… Le lendemain elle était chez moi et elle connaissait cinq chansons par cœur. Je n’avais jamais entendu mes compositions comme ça, une dimension que je n’avais jamais soupçonné. L’aventure a commencé comme ça, un coup de cœur et un beau hasard.

Et quand tu auditionnais les chanteuses, tu cherchais vraiment une chanteuse de jazz ?

Antoine : Oui, j’ai surtout mis des annonces dans des écoles et des cours de jazz privés. Et dans les clubs aussi. Petit à petit l’annonce s’est répandue, j’ai aussi reçu des comédiennes, des chanteuses brésiliennes…

Et le fait que Nicolle soit américaine…

Antoine : Au début, cela m’a un peu gêné je n’imaginais pas la chose comme ça. J’avais des doutes avec l’accent. J’avais peur de la connotation « Sympathique de Pink Martini ». A force d’écouter, son interprétation tellement belle correspondait exactement à ce que je recherchais. On a beaucoup travaillé avec Nicolle pour gommer au maximum son accent. Sur certaines chansons comme « New York à Paris », l’accent apporte du sens. Sur d’autres je voulais que le texte soit compréhensible sans problème.

Tu écris toutes les chansons, est-ce difficile de les laisser à une interprète ? Est-ce que cela t’influence dans ton écriture ?

Antoine : Oui, complètement. J’ai commencé de suite à écrire pour des chanteuses. J’avais déjà travaillé avec une autre chanteuse avant, pendant quelques années. J’ai l’habitude d’écrire pour une fille. J’ai aussi la capacité de me projeter. N’étant pas chanteur, je n’écris pas pour moi. Nicolle est aussi un personnage très inspirant. Elle a une personnalité assez forte, fantasque et extravertie. Du coup, elle me donne plein d’idées. La plupart des chansons sont écrites pour elle, sur elle et en pensant à elle.

Quand on la voit en concert on a vraiment l’impression qu’il s’agit de ses textes…

Antoine : C’est vraiment le but. Je suis très flatté quand on me le dit.

Comment est née la chanson « New York à Paris » ? Est-ce que l’histoire du groupe peut être résumé par cette chanson ?

Antoine : Oui, c’est une chanson autobiographique. Nicolle a passé toute son enfance dans le show biz. Dès l’âge de sept ans, elle jouait dans des comédies musicales, des séries télé. Très jeune elle avait déjà un manager. A cinq ans elle savait qu’elle voulait être chanteuse. Et je trouvais très étonnant qu’une fille comme elle me dise qu’elle voulait vivre en France et chanter des chansons françaises. Chanter Joséphine Baker, Edith Piaf. Je trouvais ça assez touchant. J’avais envie d’écrire là-dessus. Comment cette fille a décidé de quitter New York pour venir à Paris et chanter en français. C’était l’histoire de Nicolle résumée dans une chanson.

Vous étiez à New York récemment…

Antoine : Oui on est revenu il y a une semaine. On est resté 20 jours. Super expérience, c’était génial. Tout s’est très bien passé. On a fait sept concerts là-bas, ce qui n’est pas donné à tous les groupes français. On avait une petite crainte au départ mais on a eu la chance que tout soit géré par la manageuse de Nicolle qui nous a booké les concerts. La moitié des dates étaient dans des lieux « français » ou tenu par des français et fréquenté par des expatriés. On a découvert une certaine curiosité pour la culture française. On a rencontré plusieurs personnes qui nous parlaient de Gainsbourg, de Baudelaire… Un petit courant intellectuel à New York à l’air de se tourner un peu vers la France. C’est un ressenti. En tout cas le public était là, on a eu du monde tous les soirs. On a eu une super réponse et un bon accueil. On avait peur de la barrière de la langue par ce que les textes occupent une place importante dans nos chansons. Cela a vraiment beaucoup plu, touché, ému. On a eu des beaux commentaires : « la musique, les arrangements, la mélodie nous donnait toutes les informations pour que l’on comprenne la chanson. On était entraîné on voyageait comme si on comprenait tout le texte ». C’était touchant.

Et tu as pu pénétrer l’univers de Nicolle ?

Antoine : Oui et ça c’était vraiment très chouette par ce que cela fait longtemps qu’elle m’en parle. Des cabarets, des lieux de son enfance, de là ou elle va danser, là où elle a chanté à Broadway… Des grandes salles… Et là on était vraiment sur place. Elle me disait, ici j’ai joué « Fame »… C’était vraiment intéressant. J’ai aussi rencontré ses amis, son univers, son environnement. Cela m’a donné deux trois idées de chansons. Et des influences jazz new-yorkaises. On est un petit peu sorti, on a vu d’excellents musiciens… La ville en elle-même, sans l’histoire de Nicolle, a une richesse et une puissance assez incroyable. Un dynamisme fou et pas agressif du tout. Comme une espèce de douceur dans la puissance. C’est une ville qui donne beaucoup en termes d’émotions, de sensations… C’était chouette… On est revenus gonflés…

Vous allez y retourner ?

Antoine : Je pense. On en a très envie en tout cas. Il y a certaines salles qui ont envie de nous faire revenir. La manageuse de Nicolle aussi. Le tourneur Caravelle a envie de jouer là-dessus. On en a parlé pour l’été 2012. En essayant de faire ça à plus grosse échelle. Il y aura une sortie de disque d’ici là. Certainement en janvier 2012. On aura le cd à promouvoir et à défendre.

Sur scène Nicolle est très expressive. Cela donne un côté un peu théâtral. Est-ce que cela a orienté le projet dans cette direction ?

Antoine : Moi, je l’ai toujours imaginé un peu théâtral. Un peu comédie musicale. J’avais envie d’un peu de mise en scène, de vie, de spectacle. Pas uniquement un concert où on enchaîne les morceaux. Et après Nicolle arrive et là ce n’est même plus la peine de se poser la question. Elle est comme ça, tout le temps. Elle vit la chanson à 100 %. Tout de suite cela donne de l’image pour accompagner le son. Elle fait vivre les morceaux sur scène avec les gestes, la danse. Et puis étant comédienne et danseuse, c’est naturel pour elle de mêler le tout.

A terme est-ce que vous pourriez avoir quelques chansons en anglais, du fait de la présence de Nicolle ?

Antoine : Tout à fait. C’est une des principales conséquences de notre passage à New York. Ca m’a vraiment donné envie d’écrire en anglais. Et puis on nous l’a un peu demandé là-bas. On nous a suggéré qu’il nous faudrait une ou deux chansons en anglais. J’y avais pensé avant mais je n’étais pas encore vraiment prêt. Nicolle est prête à m’aider par ce que je ne pense pas pouvoir écrire en anglais avec la même finesse. Je donnerais des idées. On en a parlé avec Nicolle, on va co-écrire un ou deux morceaux…

Pour l’instant il n’y a pas de disques. Est-ce que tu peux nous parler un peu du futur album ?

Antoine : Pour le moment, on a juste une maquette. Cinq titres en pré-production. On a écrit les arrangements d’une bonne partie de l’album et on a commencé à maquetter tout cela. Les choses se décantent, on arrive peu à peu à maturité. Je pense qu’on rentrera en studio à la rentrée.

Un autre membre du groupe est arrivé récemment, Sylvain le clarinettiste…

Antoine : Oui, la clarinette c’est tout nouveau. Ca a apporté énormément. On faisait déjà appel ponctuellement à des clarinettistes pour les maquettes. Ca fait un petit moment que l’on pense aux possibilités et aux sonorités offertes par la clarinette. On a rencontré Sylvain pour l’enregistrement de « New York à Paris ». Ca a tout de suite fonctionné sur le plan humain, c’est un excellent musicien, motivé par le projet et avec plein de bonnes idées. Au départ je l’ai invité à jouer avec nous deux ou trois chansons pendant un concert. Juste pour voir ce que cela donne. Il est venu, ça a super bien fonctionné et donc du coup on a repensé tout nos morceaux avec l’ajout de la clarinette. On est super content. On atteint un équilibre musical vraiment intéressant entre le violoncelle et la clarinette avec pleins de possibilités d’arrangements, de réponses, de solos…

Le violoncelle un peu mélancolique et la clarinette joyeuse ?

Antoine : Oui c’est ça. C’est pour ça aussi que l’on avait besoin d’un autre instrument. Le violoncelle (joué par Anne-Colombe ndlr) est un très bel instrument. On aime énormément ça surtout que le notre à la chance de se transformer en contrebasse. Mais quand on donnait au violoncelle toutes les parties instrumentales, forcément cela donnait une sonorité mélancolique, un peu triste. C’est difficile de faire quelque chose de dynamique et de joyeux avec un violoncelle. Et c’était le point faible du groupe. La clarinette est là pour insuffler ce dynamisme, cette joie, pour « envoyer » un peu plus. Il y a plus de force, de rythme. Même si la clarinette peut être aussi très mélancolique. Là, les rôles sont bien partagés.

Du coup ça fait une instrumentation un peu bizarre, sans basse, non ?

Antoine : Le violoncelle fait souvent les lignes de contrebasse donc ce n’est pas véritablement un problème. D’autant plus que maintenant Anne-Colombe joue sur un violoncelle électrique avec une cinquième corde qui descend très bas. Donc elle joue vraiment le rôle de basse. On a pensé un moment à intégrer une contrebasse mais on s’est finalement dit que cela ne valait pas la peine et que cela ferait double emploi avec le violoncelle. Et puis c’est aussi original d’avoir un violoncelle en guise de basse. C’est vrai que quand Anne-Colombe passe à l’archet on perd la basse mais c’est quelque chose que l’on va corriger avec des samples.

Et toi quelles ont été tes influences à la guitare ?

Antoine : J’écoute beaucoup de jazz et de musique classique. Pour la musique j’étais pas mal inspiré par la musique brésilienne, la bossa-nova, les vieux standards de jazz, Billie Holiday, Ella Fitzgerald. Un peu par la pop, je suis un grand admirateur des Beatles, comme tout le monde ce n’est pas très original. Pour le côté chanson, c’est plus des références en matière de qualité de texte, Alain Souchon, « Mustango » de Jean-Louis Murat est un disque que j’ai beaucoup écouté et qui m’a vraiment donné envie d’écrire. Une référence pour moi. Un disque dont j’apprécie vraiment le texte. Et puis Barbara, Piaf et surtout les Rita Mitsouko, un exemple pour moi. On est moins rock, moins délirant que les Rita Mitsouko mais c’est vraiment une influence forte. Le couple Ringer/Chichin m’a toujours beaucoup plu. En termes d’arrangements et de productions c’est vraiment très fort. Peu de groupes français on eu cet impact. Et qui on su s’imposer en proposant un son, une couleur, une originalité dans la composition.

On parlait du texte, y aurait il une influence littéraire ?

Antoine : Evidemment. Il y en a beaucoup, je suis un grand lecteur. Mais j’ai beaucoup de mal à les donner, je trouve ça prétentieux… Et puis cela ne se ressent pas vraiment dans les paroles. Pour l’écriture je pioche pas mal dans le cinéma, un peu dans les bouquins aussi. « Qu’est ce que je peux faire » c’est vraiment un hommage à Anna Karina. Dans « Pierrot le fou » de Godard, dans la scène du début quand elle patauge en disant « Qu’est-ce que je peux faire »… Tout ça fait très intellectuel, j’ai un peu honte de dire ça... Ca ne se retrouve pas forcément dans les chansons…

Ca fait surtout très européen…

Antoine : Oui, notre base est européenne, au point de vue littérature ou cinéma. Ensuite, Nicolle amène toutes ses références et couleurs qui viennent des Etats-Unis.

On n’a pas parlé de Gregory, le batteur…

Antoine : Là aussi j’en ai auditionné pas mal et rien ne fonctionnait vraiment. Gregory vient vraiment du jazz, un vrai batteur de jazz. Il joue aussi de la musique d’Amérique latine. Moi je recherchais vraiment un batteur de jazz, avec cette finesse, ce jeu aux balais. Il y a tout un tas de morceaux où il intervient plus comme un coloriste en jouant des cloches, des cymbales… Son jeu est vraiment très fin. C’est pour ça aussi que cela été un peu dur à trouver… J’en ai vu pas mal. La plupart étaient des batteurs pop/rock qui envoient, qui tapent… Lui amène une délicatesse et une légèreté dont on avait besoin.

Il joue aussi souvent à mains nues, comme un percussionniste…

Antoine : On cherchait vraiment un batteur qui était capable de faire des percussions. Grégory joue aussi du conga. Moi j’aime beaucoup quand il joue à mains nues…

Il y a assez peu de guitare électrique…

Antoine : Oui. Alors ça c’est vraiment un ajout nouveau. Moi j’ai une formation classique. Je joue énormément de guitare classique. Mais depuis quelque temps j’ai envie d’emmener un peu de guitare électrique. J’en suis très content. Et je pense que petit à petit elle prendra plus d’importance dans le set. Elle commence par grignoter une chanson, puis deux…

Et d’où vient le nom du groupe ?

Antoine : De l’arbre ginkgo biloba. C’est un arbre qui m’a toujours plu avec une histoire assez passionnante. C’est un arbre fossile, préhistorique, un des premiers arbres. Il a résisté à tout, les années, Hiroshima… Il a une connotation sacrée en Asie. Les feuilles sont très belles, dorées, très étranges. Il y a beaucoup de pays où le ginkgo biloba est respecté, vénéré. C’est le côté imaginaire et poétique qui m’a plu.

Propos recueillis le 9 mars 2011.

En concert tous les mercredis soir du mois de mars au China.

www.myspace.com/ginkgoa


Ginkgoa à New York #1 from Ginkgoa on Vimeo.

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