samedi 14 avril 2012

Interview avec Anna Aaron.




Toute timide et cachée derrière son piano, l’avant bras couvert d’un gros tatouage, Anna Aaron nous a accordé une interview. Originaire de Bâle, la jeune Suissesse a frappé un grand coup avec son album « Dog inSpirit », sorti en début d'année, accouchant d’une œuvre à la fois accessible et difficile d’accès. D’un abord un peu timide et réservé Anna Aaron a bien voulu répondre à quelques questions en français, langue qu’elle parle relativement bien mais ne maîtrise pas complètement. De fait, ses réponses sont parfois lapidaires et émaillés de longs silences, qui lui sont nécessaires pour trouver les mots justes. Rencontre.

Tu sors ton premier album, dans quel état d’esprit es-tu ?
Anna Aaron : Le disque est déjà sorti l’été dernier en Suisse. Cette sortie en France, c’est un peu comme un nouveau début. Personne ne me connaît ici. On part d’une feuille blanche. C’est un recommencement, pas comme une première sortie, j’ai déjà vécu tout ça en Suisse.

J’ai été surpris par l’album. Il est à la fois mélodique (Sea monsters) et il y a aussi un côté plus sombre, plus expérimental (Elijah’s chant). Comment décrirais-tu ton univers artistique ?
A.A. : Je pense que les morceaux qui sont les plus importants pour moi sont ceux comme « Elijah’s Chant » ou « Fire over the forbidden mountain », avec une rythmique assez forte. Les chansons mélodiques font aussi partie de moi, mais c’est une autre facette. J’aime bien écrire de jolies mélodies, mais j’ai toujours l’impression après coup de ne rien dire. Au final c’est juste une jolie mélodie sans plus.

Et donc en fait tu cherches à en dire plus dans les morceaux plus sombres ?
A.A. : Ouais avec les rythmiques fortes et les sons un peu bizarres, j’ai l’impression de pouvoir aller plus loin.

Et vers quoi ?
A.A. (rires) : Créer plus d’atmosphère, créer un espace où on peut regarder à l’intérieur et trouver de nouveaux (elle cherche ses mots) trucs ! C’est plus dans la confrontation que l’on trouve.

Dans ta biographie tu dis « c’est une forme de violence psychologique que je chante ». Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus…
A.A. (rires) : Ce n’est pas vraiment la vérité, c’est une expression que j’ai utilisé une fois. Et bon ils aiment la répéter. J’ai parlé un peu de la conception de Dieu, et ce qui m’intéresse c’est de savoir comment un être aussi puissant et grand peut faire peur. Souvent dans notre culture on a rapport amical avec la religion. Comme si Dieu était un ami, le père. Moi je me suis posé la question, et si Dieu était un monstre, comment ça se passerait ? Quelque chose de très puissant qui fait peur. Et qui n’est pas toujours proche, qui peut être loin et caché. Le mystère… Ca me manque des fois dans les églises, personnellement.

A l’opposé il y a ton morceau « Where are you David », qui sonne très Californie 60s, Crosby Stills and Nash…
A.A. : La chanson est très très simple avec peu de changements d’accords. Un peu dans cette tradition. En même temps les cœurs, les harmonies vocales sont assez élaborées. Le producteur du disque est aussi très fan de Crosby Stills and Nash ça vient peut-être de la production du morceau.

C’est un peu à l’opposé de ce qui t’intéresse le plus finalement ?
A.A. : Oui. Je ne sais pas si « Where are you David » est un morceau très profond (rires).

Erik Truffaz est invité sur l’album…
A.A. : Le producteur est le bassiste du quartet d’Erik. C’est lui qui l’a appelé : « Quand est-ce que tu viens jouer sur le disque ? ». C’était facile en fait.

C’est un peu étonnant de l’écouter dans un contexte plus pop…
A.A. : Ca c’est bien passé avec lui. En même temps Erik n’est pas limité au jazz. Et son approche du jazz est déjà assez particulière. Même si ma musique n’est absolument pas jazz, lui il comprend très bien ce que je fais et il s’intègre très bien dedans.

Et ça a été facile de mélanger les deux univers ?
A.A. : Ouais, moi je trouve ça naturel.

Et il y aurait d’autres musiciens que tu voudrais inviter ?
A.A. : Pour l’instant je ne sais pas…

Comment composes-tu, quelles sont tes sources d’inspirations ?
A.A : Pour moi c’est très important de sentir le morceau. Je le sens dans l’endroit où je suis comme s’il s’agissait d’un corps. C’est physique. Un morceau je dois le sentir avec tout mon corps, les oreilles, les yeux… Mais ce n’est pas toujours comme ça. Des fois c’est dur de suivre le morceau…

Pourquoi avoir choisi de chanter en anglais ?
A.A. : Pour moi la question ne s’est jamais posée. J’ai appris l’anglais à 5 ans. Ca toujours été ma « langue poétique ». Quand j’écris pour moi, c’est toujours en anglais.

Tu aimerais essayer dans d’autres langues ? L’allemand par exemple, c’est ta langue natale…
A.A : Non je n’ai jamais essayé. C’est peut être la peur de sortir de ma zone de confort.

Comment as-tu commencé la musique ?
A.A. : A 12 ans par des cours de piano. J’ai commencé à écrire chez moi, un peu. Il n’y a pas vraiment de début. C’est un processus qui se développe pendant des années.

Et l’idée d’en faire ton métier…
A.A : Je pense que la musique est arrivée chez moi et c’était évidemment que je devais en faire. Je n’ai pas vraiment choisi, ce n’était pas exprès. C’est plus une réalisation. C’est ma vie.

Il y a d’autres formes d’art qui tu aimerais essayer ?
A.A. : J’ai envie ouais mais je sais que je ne suis pas forcément douée…

Et comment ça se passe sur scène ?
A.A : On est quatre : un batteur, un bassiste qui fait aussi un peu de guitare et Emilie Zoé qui fait les chœurs et la guitare. Il y a du sampler aussi de temps en temps…

Tu aimerais faire du piano solo ?
A.A : Des fois je le fais. Il y a des intermèdes solos. Mais je préfère le groupe. C’est bien qu’il y ait quelques morceaux solos dans le set mais ce n’est pas le premier truc que j’aimerai faire.

Ce qui te plait dans le groupe c’est la dynamique, le fait d’être à plusieurs ?
A.A : Oui. J’adore ça. Avec le groupe ça se passe vraiment très bien. On s’entend très bien aussi personnellement. La rencontre avec le batteur et le bassiste, Emilie Zoé est arrivée un peu après, m’a marquée. Vraiment. Je n’avais jamais eu une telle expérience avant. Jouer avec d’autres personnes et que cela marche aussi bien. J’étais euphorique. J’ai ri et j’ai pleuré pendant deux semaines. C’était vraiment de la folie. Quand ça se passe comme ça, tu sais que cela va marcher. Ca semble naturel. Ca te donnes de l’énergie. C’est facile de jouer ensemble, on ne doit pas se forcer, ça ne ressemble pas à du travail. Ca vient naturellement. C’est de l’énergie qui se développe dans le groupe. Et quand Emilie Zoé nous a rejoint, on ne s’est même pas posé la question si cela allait marcher où non. C’était évident depuis le premier jour. On a vraiment de la chance. C’est rare, il faut apprécier.

Tu as étudié la philosophie et la littérature…
A.A : Oui mais j’ai pas fini mes études. J’ai fait quelques semestres. Je pense que je n’aurais pas autant pris la mythologie comme base d’écriture si je n’avais pas étudié la philosophie. Mais en même temps, je ne pense pas que la philosophie ne m’inspire pas tant que ça. C’est plutôt ton mode de pensée qui change. C’est très difficile à expliquer. C’est la structure de ta pensée qui change. Pas vraiment les thèmes concrets. La littérature, ça c’est autre chose. La lecture élargit ton horizon. C’est très utile pour l’écriture.

Propos recueillis le 24 novembre 2011.


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