samedi 22 septembre 2012

Interview Ben Mazué




Si je peux me permettre une petite aparté personnelle, c’est toujours un peu particulier pour moi d’interviewer Ben Mazué, simplement par c’est avec lui que j’ai fait ma toute première « vraie » interview il y a (déjà) quelques années de cela… Tripotant son téléphone, installé dans un canapé le chanteur nous attends aujourd’hui pour évoque son nouveau disque, « La règle des trois unités » qui s’inscrit dans un contexte particulier comme un trait d’union entre deux albums. Confessions d’un rap addict…

Ton nouvel EP s’inscrit dans une démarche un peu particulière, comme un trait d’union entre tes deux premiers albums…
Ben Mazué : Oui un peu comme pour toutes les créations artistiques d’une manière générale. J’avais fait un premier EP qui servait d’intro à mon premier album et là c’est l’outro. La coda. Comme toutes les conclusions elle clôt une histoire mais elle ouvre aussi sur une autre. L’idée c’est ça. Fermer la page de l’album et d’ouvrir sur un nouveau. Pour boucler la boucle j’ai repris différemment des morceaux de l’album mais aussi des chansons que l’on n’avait finalement pas gardé. L’ouverture, c’est que j’ai réalisé tout seul le disque. C’est une idée que je garde pour la suite. Il y a aussi moins de richesse musicale.

L’EP s’appelle la règle des trois unités qui est une vieille règle du théâtre classique. Le théâtre, c’est une activité qui tu voudrais essayer ?
BM : Non, non pas du tout. Au contraire. Mais j’ai été ravi de trouver une référence littéraire un peu classe. Moi je suis assez loin de tout ça. J’avais répondu à une interview en faisant l’ep où j’expliquai que cet EP a beaucoup plus d’unité que l’album qui était finalement un recueil des morceaux des cinq dernières années. C’était beaucoup plus concentré en termes d’écritures mais aussi d’enregistrement. On a tout enregistré très vite et dans un seul endroit avec à peu près les mêmes instruments. Et là je me suis souvenu de la règle des trois unités que j’avais appris petit à l’école. Je trouvais cette règle très dogmatique mais elle fonctionnait à l’époque. J’ai l’impression qu’il y a encore beaucoup de dogme dans l’art, si tu veux que ton album marche il faut faire comme ça etc… Alors que la règle est absurde aujourd’hui. C’est quelque chose que l’on a complètement quitté aujourd’hui pour raconter une histoire. Et c’est tant mieux. On a plus de liberté. Je crois que c’est ce qui nous manque dans la musique. On a besoin de plus de liberté. Ne pas toujours faire des chansons qui soient couplets/refrains. On n’est pas non plus toujours obligé de faire des singles. Il n’y a pas qu’une voie dans la musique.

Deux chansons de l’ep « la valse » et « je regrette » qui étaient déjà sur l’album. Il s’agît là de nouvelles versions. Tu avais l’impression de ne pas en avoir fini avec ces titres ?
BM : L’idée c’était qu’on se rapproche des versions telles que moi je les avais écrites. C’était pour garder cet esprit d’un album entre deux albums.

On ne reconnaît plus trop le fan de hip hop dans l’ep…
BM : Je ne sais pas si l’idée c’est d’aller vers plus de chanson. On parlait de l’absurdité de s’obliger à être dans un style. Moi je veux aller vers plus de cohérence. Donner un nom à un album c’est déjà lui donner une cohérence, c’est un trame. La question du rap, je ne me la pose même pas. L’idée c’est que ça rentre dans un concept. Dans l’écriture, j’ai des choses qui sont très scandées mais cela ne me dérange pas. Je n’ai pas peur. Le hip hop n’est pas exclu de mon cadre.

Tu as un groupe maintenant. Tu peux nous en parler un peu ?
BM : Clément (le guitariste, ndlr) est toujours là. On s’est adjoint les services d’un batteur/percussionniste/chanteur. Ce qu’on faisait à deux, on le fait à trois. Il y a toujours des boucles, des séquences mais l’idée c’est qu’on le voit le moins possible. On essaye chacun de montrer tout ce qu’on sait faire. C’est ça qui m’intéresse. Notre spectacle est le vrai prolongement de notre ep. Il y a des morceaux très live. « La valse » par exemple.

Le disque a été enregistré dans un appartement de Montparnasse. Tu en as visité plusieurs, comment tu as su que c’était le bon ?
BM : A chaque fois j’y allais avec l’ingénieur du son, l’acoustique c’était vraiment la qualité principale. Je cherchais un endroit qui soit assez éloigné d’un studio. Et puis quelque chose de très parisien ou du moins qui correspond à l’idée que je m’en fais. Parquet, moulures. C’est le genre d’ambiances qui m’inspirent. Je voulais du feutre, quelque chose de très cosy. L’appartement je l’ai tout de suite aimé. C’était un peu le bordel à l’intérieur, tu n’avais pas peur de bouger un fauteuil, un meuble. Il était dans un tel état. C’était ce qu’on recherchait. On est très content de l’expérience moi je suis prêt à la renouveler. C’est la grosse qualité de la musique d’aujourd’hui, les studios sont mobiles. Encore plus qu’avant. « Harvest » de Neil Young avait été fait dans une grange.

Ca s’entend d’ailleurs…
BM : Oui, c’est vrai (sourire).

Quelle différence tu fais avec ton travail en studio ? Tu penses que le fait d’enregistrer en appartement s’entende dans le résultat final ?
BM : Je pense que oui. On était beaucoup plus libre, il n’y avait pas ce côté : attention l’horloge tourne. Je n’aurais pas pu faire d’ep du tout si je n’avais pas été en appartement. Je n’aurais pas senti d’arriver en studio et de diriger tout seul les opérations. Les arrangements par exemple, je ne sais pas toujours comment arranger mes morceaux. Pour certains j’avais une idée mais bon. Il me fallait un endroit très neutre en matière de réflexion pour que je puisse justement y réfléchir. Le studio m’aurait bloqué. J’aurais pensé que je n’ai aucune légitimité pour faire ça et qu’il me fallait un réalisateur. Pour faire un parallèle avec le cinéma, d’habitude je ne suis que le scénariste de mon album. C’est quelqu’un d’autre qui réalise et qui finalement décide de l’humeur générale. Là j’ai décidé de réaliser moi-même pour voir jusqu’où je pouvais aller. Le résultat n’est peut-être pas hyper riche mais il me correspond plus.

Tu dis que le résultat te correspond plus, mais il s’agît de ton troisième disque. Ca vient de l’expérience ?
BM : Oui mais je pense que je dirais la même chose à chaque album. Tu te rapproches toujours un peu plus de ce que tu recherches.

Est-ce à dire que finalement, ton premier disque n’est pas très personnel ?
BM : Pourtant si. Mais une fois qu’il est sorti ça ne t’intéresses plus, t’as envie de passer à autre chose. D’essayer autre choses. J’ai envie d’aventures musicales.

Le sentiment de liberté que tu as évoqué t’a manqué sur le premier album ?
BM : Non. J’étais là pour ça aussi. J’avais envie d’optimiser mes morceaux. Il fallait que le réalisateur emmène la chanson là où je voulais en venir. Là où je ne sais pas l’emmener. Les lignes de cordes, de cuivres, toutes les programmations de batteries. J’étais incapable de faire ne serait-ce qu’un quart de ce qu’a pu inventer Régis (Ceccarelli, l’arrangeur et réalisateur du premier album de Ben, ndlr). J’avais les yeux grands ouverts. J’avais envie de comprendre comment on travaille, comment ça marche.

Quelques mots sur « Je regrette », les paroles sont assez touchantes. C’est un morceau assez personnel je crois…
BM : C’est la chanson qui parle des amis. C’est la suite de « Mes monuments ». C’est très important d’être lié par le quotidien. Dans « Je regrette » je précise que c’est très compliqué, d’être lié par le quotidien. Finalement on est plus lié avec ses collègues ou sa famille proche, femme, enfants, qu’avec ses amis ou sa famille plus large. Je trouve ça dommage. Moi, c’est ce qui me nourrit. Donc je regrette. C’est aussi une sorte de signal d’alarme. Il est temps de se réveiller, on ne va pas tous aller dans ce schéma de vie classique où autour de trente ans on perd nos amis au profit de nos crédits, femmes et enfants. On va plutôt faire l’effort de rester unis.  

Notre conversation avec Ben s’achève dans un dernier sourire : « A chaque fois tu me fais parler pendant des heures »…
www.benmazue.com

Propos recueillis le 4 juin 2012.

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