dimanche 10 mars 2013

Interview avec Yann Destal


(c) Nadia Gric




Leader de Modjo à la fin des années 1990 avec un tube dance à la clé, « Lady » en 2000, Yann Destal s’est lancé en solo en 2004 avec son album « The Great Blue Scar » qui fût un échec commercial. Depuis Yann a plus ou moins disparu des radars et tente de revenir à son inspiration première, la pop et le rock des années 1960 et 1970… Rencontre avec un phénomène…

Ton précédent album date de 2004, que s’est-il passé depuis ?
Yann Destal : Pour moi, ce disque c’était le début de mon projet en solo. Le disque n’a pas été un succès commercial, loin de là. Depuis je me suis séparé de ma maison de disque de l’époque, j’ai renoué avec « la musique sans référent », c'est-à-dire sans personne à qui devoir rendre des comptes.

C'est-à-dire ?
YD : Quand tu es signé, tu fais ton morceau après ton directeur artistique l’écoute, on te donne un avis ensuite tu parles avec quelqu’un d’autre… De fil en aiguille tu dialogues avec des gens, ce qui peut être bien mais pas toujours. Et le dialogue n’est pas forcément artistique. C’est cliché mais c’est ce que j’ai vécu. La séparation avec le label s’est bien passée, d’un commun accord. Je crois que l’on était tous contents de se libérer. Pendant un temps j’ai apprécié de refaire de la musique, je n’ai jamais cessé d’enregistrer, j’ai mon propre studio. J’ai eu besoin de me retrouver intérieurement, de renouer avec le but premier de la musique à savoir un mode d’expression personnelle. Un plaisir. Parfois le système dans lequel on est poussé, peut détourner de l’artistique à la longue. Moi j’ai apprécié pendant quelques années d’en être débarrassé. Depuis, j’ai fini par rencontrer des gens, ma manageuse, l’agence de presse, avec qui j’ai le sentiment de vivre quelque chose d’humain ; l’artistique est préservé. J’ai eu aussi besoin de reconnecter avec le public. De refaire surface.

Parlons musique, quelle est la part d’expérimentation dans ton travail ? Tes morceaux sont en général très produits, les arrangements sont très précis, comment ça se passe ? Je pense à « You know me » en particulier…
YD : C’est assez bizarre, chaque morceau à son propre scénario. Bon parfois le scénario n’a rien de spectaculaire. Pour « You know me », c’était assez rigolo, au départ on m’avait demandé un instrumental pour un autre artiste. Et puis mon amie de l’époque m’avait dit : « Mais ce morceau, tu peux pas le donner il faut le garder pour toi ! ». C’est ce que je pensais de toute façon. J’en suis très content. J’aime beaucoup la progression harmonique, il y a beaucoup d’accords, c’est un peu expérimental, du point de vue harmonique en tout cas. Les voix qui passent, c’est un système que j’ai inventé : un chant tellement retraité qui finit par sonner comme un instrument. Je porte un masque pendant les concerts, je l’appelle l’effet dauphin. Il faut que cela soit « inhumain ». Pas dans le sens monstrueux mais plutôt comme quelque chose qui vient d’ailleurs. La voix ne doit pas sonner comme « humaine ». Et c’est le masque qui incarne le personnage de cette voix. J’ai vérifié sur internet, je crois que personne n’avait jamais fait ça avant. C’est mon invention, c’est cool.

L'effet Dauphin (c) Nadia Gric
On parlait de la précision de tes arrangements, ta musique est-elle difficile à retranscrire sur scène ?
YD : C’est un challenge. Il faut faire des choix. Pour beaucoup de morceaux, il y a vraiment un suspense avant de les aborder avec les musiciens pour la scène : est-ce que ça va marcher ou pas ? Jusqu’à présent ça marche, en général. Pour les morceaux important du moins. Comme « Let me be mine » ou il y a un truc de production important qui fait que ça monte tout le temps, crescendo. On a utilisé beaucoup de pistes en studio, je n’étais pas sur d’y arriver avec seulement cinq musiciens sur scène. Finalement, je suis très content de la version live. Et même d’ailleurs souvent, les gens qui découvrent la musique en concert me disent qu’ils préfèrent les versions live aux versions studio. Ca me fait plaisir mais ça m’inquiète aussi un peu. Quand les versions live sont réussies, tu as une énergie qu’on ne peut pas retrouver en studio. Mais il s’agit de deux choses distinctes dont le but est différent. Le disque tu vas l’écouter chez toi, tranquille, l’objectif n’est pas de faire hurler le public. Les versions live en revanche doivent être plus émotionnelles. Le concert c’est moment unique, plus violent.

Le concert c’est aussi une expérience…
YD : Personnellement c’est ce que je préfère. La musique que j’écoute quand je suis chez moi, c’est à 80 % des enregistrements en public. Quelque soit l’artiste. Et d’ailleurs quasiment jamais des live officiels. Des bootlegs trouvés sur internet. Quand je suis fan d’un artiste, j’écoute toute la tournée, je choisis mes versions préférées selon les concerts. Quand ce n’est pas retravaillé. Les versions live bootlegs ne sont pas celles qui ont été choisies pour être des versions live officielles. Tu entends le mec un peu fatigué, là tu as vraiment accès à l’artiste. Réellement, c’est ce qui m’intéresse le plus. Le concert c’est primordial. Mon but c’est un jour de faire une version live par chanson que je puisse considérer comme la version ultime du morceau, supérieure au studio. J’enregistre tous mes concerts. C’est aussi important de se réécouter pour pouvoir progresser. Il y a toujours un petit truc à trouver pour que cela marche de mieux en mieux. Surtout pour mes arrangements qui sont très précis.

Ta voix m’a rappelé Jeff Buckley, pour les montées dans les aigüs…
YD : Jeff Buckley, c’est un chanteur incroyable. Pourtant je ne l’ai pas beaucoup écouté. Il fait partie de ces « chanteurs pièges » quand tu es chanteur toi-même. A force de les écouter, tu vas reprendre leurs mimiques. Tu vas t’effacer à leur profit sans même t’en rendre compte. Et après pour s’en débarrasser… J’espère ne pas être trop tombé dedans. Il y a beaucoup de gens qui ont influencé ma façon de chanter. Buckley en fait partie, pour les montées dans les hauteurs. C’est de plus en plus rare d’exploiter ces registres « ténor » de la voix. Je ne sais pas pourquoi…

Il faut déjà en être capable déjà…
YD : Je pense que l’humain en est capable. Dans les années 60 et 70, surtout en Angleterre, il y avait des chanteurs qui allaient dans ces hauteurs là. Moi je trouve ça important. Il y a une sorte de vérité physique. Même si le mec devient ensuite une super star qui se la pète, en attendant, en concert, pour atteindre sa note, le gars est obligé de s’impliquer physiquement. Pour de vrai. C’est aussi une prise de risque, on est dans les extrêmes. Je sais que personnellement, je n’ai pas une grande marge de sécurité. Je ne vais que là où je peux aller. Suivant la forme physique. Ce qui fait que chaque concert est différent. Je suis dans un combat. C’est pour ça que les notes hautes m’intéressent, le challenge. Quand je l’écoute chez un autre artiste, il y a quelque chose qui me touche. C’est un peu comme le sport, un truc physique.

Revenons à ton travail en studio, quand la musique est autant travaillée que la tienne, il n’y a pas un risque de se perdre dans un dédale de pistes et de possibilités ?
YD : Si, si, ouais. Moi j’essaye de faire aussi concis que possible, de ne pas trop en rajouter. C’est à la fin que je remarque que c’est assez riche. En tout cas chaque arrangement est là par ce que je l’entends et pas pour faire tiens et si je rajoutais ça et ça. Au contraire de l’album précédent d’ailleurs. Dès que j’entendais une note c’est par ce qu’elle devait y être. J’essayais de respecter l’inspiration sans la brider. Là j’ai essayé d’épurer un peu sans tomber dans le truc avec juste une voix et une guitare. En tout cas je n’ai pas la sensation de me perdre. Mais ça peut être un piège.

Personnellement, j’ai eu besoin de deux, trois écoutes pour vraiment rentrer dedans. J’ai été un peu déstabilisé au départ…
YD : Oui, c’est vrai qu’il y a pas mal d’arrangements mais il y aurait pu en avoir beaucoup plus…

(c) Nadia Gric

Un petit mot sur la reprise des Beatles, « Oh Darling » ?
YD : J’aime bien faire des reprises en général, c’est un peu mon école. C’est comme ça que j’apprends en reprenant des choses qui ne sont pas forcément dans mon registre. Quand tu chantes que tes propres compositions tu ne vas pas avoir accès aux idées des autres. Je joue toutes les semaines des reprises dans un bar. Je ne communique pas dessus, j’en ai besoin pour la gym vocale, pour tester de nouvelles techniques de chant. « Oh darling » était une de ces reprises. J’ai fait un peu comme sur mon premier album, j’ai adapté la chanson en mineur. Ca peut paraître un peu scolaire mais c’est une émotion très concrète. Ca apporte de la noirceur, de la profondeur. Ca se prêtait bien à cette chanson, qui n’est pas très connue. C’est aussi un de ces moments où McCartney se déchire la voix sur des paroles un peu blues, un peu bateau, genre « tu m’as quitté, je vais mourir etc… ». Je me suis dit que sans ces influences blues, le titre prenait une autre dimension, assez intéressante à écouter. J’étais content du résultat alors je l’ai gardé. C’est une reprise à la base c’était plus pour faire un exercice. Une curiosité, je voulais le tenter. Et puis les reprises c’est un truc qui se fait beaucoup de nos jours, peut-être un peu trop d’ailleurs, mais bon une seule ça va. Un album de reprises, ça ne serait pas un vrai album. Et puis beaucoup des reprises que j’entends en ce moment, c’est en fait des versions modernes auto-tunée. Quoi qu’il en soit, ça dénote un manque d’inspiration. Dans l’album il n’y en aura pas deux, c’est sur.

On qualifie souvent ta musique de « cinématographique », je pense notamment à « Stand by me » qui est un peu western. Ca te plairait de travailler pour le cinéma ?
YD : Ca m’est déjà arrivé quelquefois. J’ai plus fait l’acteur alors que je ne suis absolument pas comédien. Mais comme on me le proposait. Faire de la musique pour le cinéma, oui ça me dirait bien. Tu n’es pas le premier à me faire la remarque concernant l’aspect cinématographique de mes morceaux. Ce n’est pas intentionnel. C’est difficile d’expliquer pourquoi…

On sent qu’il y a un climat, une ambiance dans tes chansons…
YD : Dans ma tête une chanson c’est souvent comme une scène, quand tu décris quelque chose qui se passe. La chanson c’est un moyen de communiquer une émotion, une situation.

Pourquoi avoir fait le choix de chanter en anglais ? C’était évident, compte tenu de tes influences ?  
YD : Ce n’est pas un choix idéologique, au contraire, je trouve que c’est très bien de chanter en français. En fait je crois que je n’ai pas tellement le choix. Mon père était très mélomane, sa passion c’était d’écouter de la musique, il n’en faisait pas. Beaucoup de groupes anglo-saxons. Et du coup, quand je compose aussi bien la musique que les textes, c’est beaucoup dans cette veine anglo-saxonne. J’aime beaucoup certains français mais qui eux-mêmes ont beaucoup piocher chez les anglais : Polnareff, William Sheller, Balavoine, Gainsbourg. Et puis je trouve qu’il y a un talent et une sensibilité musicale particulière chez les anglo-saxons qui me touche plus que la tradition française. Nous on n’est plus dans les textes et la qualité d’interprétation. J’essaye de prendre ce qu’il y a de mieux dans l’un et dans l’autre, la sensibilité musicale des Beatles, la qualité d’interprétation de Jacques Brel.
  
Et chanter en français ?
YD : Ca m’est arrivé. Ca dépend de l’inspiration. J’ai fait un morceau en français par ce qu’il m’était venu comme ça. Il n’est jamais sorti, je ne sais pas trop quoi en faire. C’était dans ma période « maison de disques ». On aurait pu croire qu’ils me le demandaient, ils le faisaient d’ailleurs, mais c’était là par hasard. J’ai hésité à le faire. Ils insistaient tellement que si je leur montrais que je savais écrire en français, j’allais tomber dans une sorte de piège, condamné à chanter en français. Ca fait partie des choses qui font que je suis content de ne plus être en maison de disques. On avait fait un clip d’ailleurs mais qui n’est jamais sorti, encore pour des raisons propres au système…

Peut-on qualifier ta musique de psychédélique ?
YD : Ca ne fait pas un peu drogué ?

Je pensais surtout au rock de la fin des années 1960…
YD : Moi j’adore. Ce n’est pas le seul style de musique que j’écoute. C’est vrai qu’il y a un côté un peu « space », déconnecté de la réalité, qui veut voyager dans l’imaginaire. Un peu science-fiction. J’aime bien ce côté-là, onirique.

Ta bio indique que tu es détaché des modes et des formats…
YD : Je suis bien obligé de le constater. Je suis assez peu référencé, très peu relayé par les médias. J’aimerai bien trouver une place dans le système, un public. Mais c’est vrai que je n’aime pas les modes, je ne regarde plus la télé. Il y a une sorte d’endoctrinement de la pensée que je trouve dangereux. J’essaye de me rappeler qui je suis. Depuis que je ne regarde plus la télé, j’ai l’impression d’avoir une pensée plus large, d’après mon propre ressenti, plutôt que d’avoir le choix entre deux avis. Je suis hors-format.

Propos recueillis le 13 juin 2012.
http://yanndestalmusic.com/index.html

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