samedi 2 mars 2013

Portrait Edwyn Collins.




L’image est forte et émouvante, limite choquante. En cette fin d’après-midi, un vendredi d’hiver, Edwyn Collins, l’auteur du tube « A girl like you » en 1994, sort péniblement d’un café situé sur le boulevard Saint-Michel. Victime d’un AVC en 2005, l’homme est depuis hémiplégique, cet épisode dramatique fera bientôt l’objet d’un documentaire. Son bras droit reste désespérément bloqué, il peine à se mouvoir, marche à l’aide d’une canne et a parfois du mal à s’exprimer. Ce qui ne l’empêche pourtant pas d’être extrêmement volubile. Prévue pour durer une demi-heure, l’interview s’est finalement étalée sur une durée double. Sa dévouée manageuse, Grace, veille sur lui avec soin. On s’en doute et l'ex-leader d'Orange Juice l’admet bien volontiers, l’épisode entier à changé sa perspective sur sa vie : « Je suis beaucoup plus relax. Je profite de l’existence. Tranquille. Le fils d’un vieil ami à moi, dans mon petit village d’Ecosse, a essayé de se suicider. La dépression tu comprends, c’est sérieux. Je suis allé le voir, je lui ai dis : mais pourquoi t’as fait ça ? Ne recommence plus jamais, la vie est précieuse ! Il m’a dit : oui Edwyn ». Collins affiche un sourire satisfait. « La vie se joue au hasard » reprend-t-il. « Regarde Grant MacLennan (ancien membre des Go-Betweens, décédé d’une crise cardiaque en 2006) il est mort comme ça du jour au lendemain. Après l‘attaque je me suis senti renaître. Je suis heureux, j’adore ma vie. C’est juste génial d’être ici ».  


Edwyn Collins n’a pas pour autant tiré un trait sur sa vie professionnelle. Un nouvel album « Understated » sort ce mois-ci, « mon deuxième depuis l’accident. Déjà. C’est incroyable ». Et s’apprête même à reprendre la route. Le chanteur est également producteur (deux albums avec Little Barrie notamment) et possède même son propre label : AED qui signifie Analogic Enhanced Digital, « une blague que personne ne comprend », se marre-t-il. « On a sorti cinq disques sur ce nouveau label. Tu vois à 19 ans j’avais déjà mon propre label Postcard records. Voilà la boucle est bouclée ». Si Edwyn ne peut plus, hélas, jouer de la guitare, il chante toujours. Mieux que jamais même. Son timbre de crooner fait des merveilles sur ce nouveau disque. « Oh oui, j’ai toujours été un crooner. J’adore Iggy Pop. Sinatra a eu une influence énorme sur moi ». Enregistré avec l’aide de quelques amis, Paul Cook, l’ex-Sex Pistols à la batterie et Barrie Cadogan, « un guitariste extraordinaire », ce nouvel album est excellent.


Rien de tout cela n’aurait été possible sans le succès phénoménal et mondial rencontré par « A girl like you », son tube de 1994. « La chanson est plus célèbre que moi » rigole-t-il, ce qui semble être confirmé par les faits ; depuis une heure les touristes vont et viennent dans le petit hall d’hôtel sans que personne ne semble lui porter la moindre attention. « Je ne regrette absolument rien de ce titre. Cette chanson m’a fait vivre depuis des années. Le succès est arrivé assez très tardivement, j’avais déjà trente cinq ans à l’époque et plus de 15 ans de carrière, je n’ai pas pété les plombs. J’étais déjà très cynique, sarcastique concernant le business à cette époque. Avant j’étais signé chez Polydor. Le chef de projet avec qui je travaillais, c’était n’importe quoi. Un jour il me disait de faire de la soul music. Le lendemain, je devais devenir gothique et plagier les Cure. J’ai vite compris que si je voulais continuer, il fallait que je construise mon propre studio et que je contrôle tout du début à la fin. C’est ce que j’ai fait. Le premier album que j’ai enregistré en étant propriétaire du studio c’était « Gorgeous George » (et la fameuse chanson « A girl like you ») qui a été un succès phénoménal on a eu de la chance. Ce succès a été un cadeau, cela m’a permis de rester libre, d’expérimenter. Depuis je suis un peu en marge du business musical. Et franchement ce n’est pas une mauvaise place. Je regarde les autres s’agiter et moi je fais mon truc dans mon coin. Et même si aujourd’hui je passe pour un « one hit wonder », le type qui n’a réussi qu’une seule chanson dans sa vie, c’est plus que la majorité des gens ne peuvent espérer ».  

Propos recueillis le 1er mars 2013.

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