samedi 13 août 2011

Interview France de Griessen

(c) Natydred



Artiste pluridisciplinaire, chanteuse, musicienne, aquarelliste, actrice et performeuse, France de Griessen possède une personnalité attachante et un caractère bien trempé qui s’expriment différemment suivant le medium utilisé. C’est aussi quelqu’un de profondément humain, comme le prouve son attachement à la défense des animaux, qui rougit et rigole d’un air gêné entre chaque réponse comme si elle avait peur de trop se révéler. Avec sa candeur habituelle, elle m’avait proposé que l’on fasse l’interview à l’hôtel Le Meurice en me disant : « Le bar est joli ». Joli ? En fait c’est un endroit super classe, à l’ancienne, rempli d’une clientèle aux tempes grisées et costume cravate au milieu de laquelle la punkette couverte de tatouages dénote un peu…



Qu’est-ce que tu aimes le plus l’intimité de la création ou le partage avec le public sur scène ?



France de Griessen : C’est un processus, l’un n’existe pas sans l’autre. Moi j’aime profondément toutes les étapes de la vie d’artiste. Il n’y a qu’une chose que je n’aime pas, c’est tout ce qui concerne l’administration (sourire). Mon grand rêve c’est un jour d’en être dispensée (t’es pas tout seule, ndlr) ! Le processus de création existe tout le temps. Tu te promènes dans la rue, tu vas voir quelque chose, un arbre, tout ça va rejoindre ta poétique personnelle. Il y a une chanson sur l’album (« rue des pierres rouges », ndlr), écrite avec mon ami Vérole (membre du groupe les Cadavres), qui parle du besoin d’avoir du temps. Pour traîner dans la rue par exemple. C’est une façon de parler de la Bohème, qui a toujours été nécessaire aux artistes. On ne peut pas dire, je vais créer de 13h à 14h ! C’est un mode de vie, qui requiert des sacrifices mais qui offrir des choses merveilleuses. Je pense qu’il faut être fait pour cette vie là. Moi c’est la vie que j’ai toujours voulu. Et de plus en plus je peux la faire comme je veux. C’est chouette (rires) ! Après cette phase où l’imaginaire collecte plein de choses, il y a aussi tout ce que l’on vit. C’est très important ça ! Que l’on écrive de manière auto-biographique ou pas, ce que tu vis va forcément t’influencer. Tu vas avoir envie d’en parler. Et après tout ça tu présentes ton travail aux gens. Et moi ça j’adore ! J’adore le contact avec le public ! J’adore faire des concerts, j’adore jouer, même si il n’y a pas de micro. Il faut juste qu’il y ait un bon esprit. Il y a quelque chose dans la musique qui relève de la magie, dans l’alchimie avec les gens… Je ne fais pas non plus les choses n’importe où, n’importe quand et avec n’importe qui. Par contre c’est une de mes priorités dans la vie de partager. J’aime aussi beaucoup le studio par ce que l’on peut échanger, expérimenter des choses de manière différente de la scène. J’aime tout de la vie d’artiste. Tout (rires) !



Tu es une fille assez douce dans la vie et c’est un peu surprenant de t’entendre hurler sur le disque. Que se passe-t-il dans ta tête à ce moment là ? Est-ce que tu adoptes un état d’esprit particulier à chaque chanson suivant qu’elle est « chantée » ou « hurlée » ?



France : C’est vrai que cela surprend souvent les gens par ce que dans la vie j’ai l’air douce. Je pense que j’ai des côtés doux, je suis une fille assez romantique, mais j’ai aussi beaucoup de violence en moi. Je ne suis pas dans une agressivité permanente. Par contre j’ai toujours eu du répondant. Je suis douce et gentille mais il ne faut pas me chercher. C’est plus une gestion de l’énergie je pense qui s’est faite harmonieusement après un temps très intense d’auto destruction (rire gêné). C’était une sorte de tunnel initiatique dans lequel il fallait que je passe…



J’ai un peu peur de te demander des détails…



France : L’auto destruction c’est quelque chose qui touche beaucoup d’artistes. C’est simple et compliqué en même temps. C’est simple dans le sens où il y a une évidence de faire ce pourquoi on est fait. Mais ce n’est pas simple, moi j’ai du me battre avec beaucoup de démons intérieurs. Et je pense qu’on apprend à vivre avec eux, sans vraiment les tuer. Voilà, il y a des moments plus difficiles que d’autres. C’est la vie. Et c’est comme pour la vie d’artiste, moi la vie je prends tout (rires) ! Par essence il y a des choses extrêmement violentes parfois. Il y a plein de parties en moi qui n’ont pas grandies et qui je pense ne sont pas amenées à grandir. C’est vraiment une connexion à l’enfance et à l’instinct. C’est une force créative. C’est important pour moi, d’être dans mon monde à la fois réaliste et magique, mystique. Il y a aussi un lien avec la nature très fort. Je suis connectée à la force et à la fragilité de manière égale. Ces deux choses là on les retrouve qui coexistent en même temps dans mes disques, mes aquarelles, mes spectacles.



Une de tes aquarelles m’a énormément intrigué, celle intitulée « The Artist » avec écrit en dessous « A blessing and a curse ». Une bénédiction et une malédiction.



France : Cette aquarelle c’est l’illustration de mon acceptation de ma dualité. Il y a aussi marqué la tendresse et la violence. J’accepte les deux à l’intérieur de moi. C’est aussi important par rapport à la question des femmes. Malgré tout, pour les femmes, les choses sont plus compliquées que pour les hommes aujourd’hui. Dans le monde du travail, dans la société même dans les milieux artistiques. Un peu moins dans les milieux artistiques, néanmoins, souvent, quand tu vas dans un magasin de musique accompagné d’un ami, souvent le vendeur vient voir le garçon. Alors que tu viens aussi t’acheter des choses pour toi. Ca reste un peu quand même. De moins en moins mais bon. Moi je me trouve chanceuse d’avoir des modèles féminins très positifs. Marianne Faithfull, Courtney Love, je suis ravie de pouvoir m’y référer. Toute cette vague des riot girls. Patti Smith, Nico, Marie Laforêt…



Marie Laforêt ?



France : Complètement. Je trouve qu’elle est très proche de Courtney Love. Pas dans le résultat musical évidement. Mais il y a une façon de jouer sur les temps dans la musique où on peut établir des parallèles. Moi j’ai remarqué que j’aimais les artistes qui ont toujours un petit décalage par rapport au temps. Je trouve ça intéressant. C’est une façon d’être dans la musique et de pouvoir se décoller d’une structure.



Surtout à notre époque ou tout est très cadré…



France : Oui. Moi je n’aime pas du tout. Marie Laforêt il y a une chanson où elle dit un mot avec juste quelques secondes de décalage sur le temps et à chaque fois que je l’écoute ça me fait pleurer. C’est tellement juste par rapport à la musique. La capacité à être en harmonie et faire ce petit pas de côté, ça amène quelque chose de magnifique que l’on peut retrouver dans plein de genres musicaux. Il n’y a pas un grand écart entre Courtney Love et Marie Laforêt (rires).



Est-il nécessaire d’avoir des démons intérieurs à exorciser pour créer d’une manière générale ?



France : Moi je n’ai pas choisi. Je suis née avec et j’ai du faire avec. Souvent les journalistes vont écrire des livres et des articles à sensation, la mort tragique de Kurt Cobain ou la déchéance d’Amy Winehouse (pas encore décédée à l’époque où cette interview a été réalisée) et qui vont présenter les choses sous un angle tragique, le décès prématuré, très jeune, regardez, c’est horrible etc… Moi j’ai toujours pensé différemment étant moi-même artiste. C’est difficile parfois de gérer ses démons intérieurs, sa créativité. Je trouve au contraire magnifique que la création ait permis d’arriver jusque là. Peut-être que si la personne n’avait pas eu cette possibilité elle serait morte bien avant.



C’est la signification de ta phrase « A blessing and a curse » ?



France : Oui, une bénédiction et une malédiction à la fois. Les moments où la malédiction prend le dessus, par ce qu’il y en a, sont très très durs à vivre. Mais à l’inverse les moments de bénédiction sont très intenses aussi. C’est pour ça que l’équilibre est parfois difficile à atteindre. Quand je parle d’équilibre c’est relatif. Tu es sur un fil. C’est ce qui en fait la beauté aussi.



Est-ce que tu peux nous parler un peu de « Perce-neige » ? C’est la chanson qui m’a le plus ému…



France : C’est une histoire qui vient de mon enfance. C’était dans le jardin de ma grand-mère à la campagne. Un grand jardin, un peu sauvage, avec des grands arbres. Et tous les ans en hiver il y avait un seul perce-neige. Un seul petit perce-neige qui sortait près d’une souche. Je trouvais ça vraiment extraordinaire. Cette petite fleur toute belle, toute délicate. Et qui sortait de ce sol glacé d’hiver, dur et gelé. Je trouvais ça d’une poésie et d’une force incroyable. J’en ai eu conscience toute petite, petite. Et puis j’ai eu envie d’écrire dessus. C’est une chanson très anarchiste comme tu peux le voir dans les paroles.



Est-ce que les émotions exprimées dans le dessin sont elles différentes de celles que l’on retrouve dans la musique ?



France : C’est un tout en fait. Je suis par essence pluridisciplinaire. J’ai toujours fait plein de choses en même temps. Mon moyen d’expression principal c’est la musique (à ce moment précis, comme un fait exprès ou une heureuse et magnifique coïncidence un musicien traverse le hall de l’hôtel traînant une contrebasse dans son sillage provoquant chez France et moi un sourire béat, ndlr). Mais les autres (le dessin, le théâtre, les performances artistiques, ndlr) sont aussi très importants pour moi par ce qu’ils me permettent de créer un monde. Et ça c’est vraiment quelque chose que j’ai eu envie de faire. Ca vient de la culture punk, le do it yourself, on fait ses morceaux, ses flyers, ses affiches, ses concerts… Ca vient aussi des artistes qui m’ont marquée qui sont souvent des artistes pluridisciplinaires. Cette démarche me correspond complètement. Malheureusement en France (France est Belge de naissance, ndlr) les artistes pluridisciplinaires sont souvent considéré comme dilettantes. Cela peut parfois être vrai. Je suis persuadée que c’est une vision trop réductrice. Certains vont être plus eux-mêmes et dans leur intégrité en ne faisant qu’une seule chose dans laquelle ils vont se sentir bien. D’autres vont avoir besoin de changement. Et j’en fais partie. Et tout ce que je fais, je le fais avec la plus grande intégrité, avec tout mon cœur et toute mon âme et toute ma passion. Vraiment. Chaque chose, chaque acte que je fais dans ma vie.



Musicalement l’album est très varié du grunge à la country. Souvent les musiciens ont l’esprit bien plus ouvert que les simples fans de musique, focalisés sur un style, et écoutent un peu de tout…



France : Il y a beaucoup de points communs dans les genres musicaux que j’aime. Tu prends le punk et la country par exemple, ce sont deux musiques qui racontent des histoires et qui, souvent, s’inscrivent dans quelque chose de social. Enfin pas toujours. Social ne signifie pas forcément politique ou engagé. Ca peut être des chansons qui racontent l’histoire des gens tout simplement, de la vie des gens. Le punk est engagé par essence. Le punk parle de liberté. C’est pour cela que je l’aime. Dans le grunge il y a quelque chose de poétique et de romantique qui me touche beaucoup. Tout cela est relié à des influences des années 60. Je n’aime pas la connotation actuelle du mot pop mais si tu prends les chansons de Nirvana, c’est quand même des mélodies qui se retiennent énormément. Kurt Cobain était ultra fan des Beatles. La musique c’est comme les racines d’un arbre, tu remontes, tu tires et tu te rends compte qu’il y a beaucoup de liens entre les choses. Et tu as envie d’aller voir ce qu’il y a sous la terre. Pour moi c’est important qu’il y ait une tension. C’est le lien. Pas des musiques uniquement de divertissement. Je respecte aussi, c’est important qu’il y ait des musiques juste pour s’amuser, danser mais ce n’est pas mon propos. Ceci dit c’est bien de pouvoir headbanger, danser, quand on va à un concert. Moi j’aime le côté cathartique de la chose, rentrer dans une forme de transe pour l’artiste comme pour le public. Partager quelque chose d’intense et de fort. C’est bien de pouvoir ressortir d’un concert un peu différent de ce qu’on était avant. C’est ce qui m’intéresse dans la musique, c’est ce que j’ai envie de donner aux gens quand je chante pour eux. Les genres musicaux qui me plaisent ont ça en commun. C’est aussi des musiques de l’instinct. L’instinct c’est quelque chose de très important dans ma création.



Est-ce qu’être artiste c’est aussi gérer un trop plein d’émotions ?



France : Non. Je ne suis pas artiste pour ça. L’art n’est pas une thérapie, la vraie thérapie c’est la vie. Je n’ai pas envie de me plaindre ni de jeter des choses à la tête des autres. Ma cuisine intérieure pour me mettre dans l’état nécessaire à la création, c’est quelque chose d’assez privé. Je ne veux pas donner quelque chose de négatif. Ca peut être noir parfois, complètement. J’adore Marilyn Manson, je suis ultra fan. J’adore ce genre de concert, ce genre de musique. J’adore le côté cathartique qui me permet d’exorciser mes démons. Mais justement ça me le permet parce que ce n’est pas un artiste qui me jette sa merde à la tête. C’est quelqu’un qui a trouvé un moyen pour transformer tout ça en quelque chose que l’on peut vivre tous ensemble l’artiste et le public. Les notions d’échange et de vivre ensemble sont vraiment importantes. On peut avoir à exprimer quelque chose de joyeux ou de sombre mais finalement la générosité de l’artiste, c’est le travail qu’il fait sur lui-même pour transformer les choses afin de les partager. Sur scène on peut vivre des choses extrêmement violentes. Même quelque chose de sombre, pour moi c’est positif. La thérapie c’est bien de la faire chez soi. J’aime voir de l’émotion. Après il ne faut pas être en paix avec soi-même pour faire de la scène. Là tu ne trouverai personne de toute façon. Il ne faut pas balancer des saletés à l’extérieur. On peut balancer sa rage, sa colère, sa violence, c’est d’accord. Mais pas des saletés.



Un grand merci à France pour sa gentillesse et sa disponibilité.



Propos recueillis le 27 juin 2011.



En concert le 22 septembre (Spirit of 66, Verviers, Belgique) et le 14 octobre au Nouveau Casino (Paris).



Album « Electric Ballerina » disponible en digital. Sortie physique le 26 septembre.



http://www.francedegriessen.com/



www.myspace.com/francedegriessen



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