mercredi 7 mai 2014

Interview Minor Alps.




Rencontrer Matthew Caws, leader de Nada Surf depuis deux décennies, c'est comme faire un grand bond dans le temps. Depuis 20 ans notre homme a accumulé réussites, déceptions et surtout un bon paquet d'anecdotes. Il ne faut d'ailleurs que peu de temps avant que ces dernières ne découlent. Ce n'est pas tous les jours que l'on a l'occasion d'interviewer un artiste que l'on admire et que l'on a vu une dizaine de fois en concert. Ce dernier se révèle être un mec simple et sympa. Un moment rare et privilégié dans un appartement parisien du quartier de la Bastille et l'occasion d'évoquer son nouveau projet Minor Alps, duo formé avec la chanteuse Juliana Hatfield...
 
Alors Matthew, après 20 ans avec Nada Surf, qu'est-ce que cela te fait de faire de la musique avec quelqu'un d'autre ?
Matthew Caws : C'est cool. Il y a dix ans, cela aurait été bizarre, je me serait senti coupable, comme si j'avais trompé le groupe ou quelque chose dans le genre. Mais bon après tout ce temps, c'est cool, j'ai le droit maintenant. Je ne dis pas ça méchamment, on dirait tous la même chose. C'est bien tombé, avec Nada Surf on avait de toute façon décidé de prendre une année de break. C'est bien de faire autre chose. Et puis je n'empêchais pas Nada Surf de travailler. Pour moi c'était très intéressant, j'ai beaucoup appris de travailler avec quelqu'un qui fait exactement la même chose que moi : chant et guitare. C'était un peu comme de se regarder dans un miroir.

Est-ce que tu as eu le sentiment de sortir un peu de ta zone de confort ? Avec Nada Surf vous faîtes de la musique ensemble depuis plus de 20 ans, vous vous connaissez par cœur, quelque part c'est confortable, sécurisant, notamment quand il faut présenter aux autres les nouvelles chansons. Alors qu'avec Juliana, c'est tout nouveau...
MC : Oui, mais j'ai peut-être un peu triché. J'ai trouvé quelqu'un avec qui j'ai beaucoup en commun alors se montrer les chansons les uns, les autres, c'était assez facile. On écrit beaucoup sur les mêmes sujets. C'est devenu assez confortable assez rapidement. Dans le studio par contre je suis sorti de ma zone de confort. Notre relation d'enregistrement n'était pas aussi établie qu'avec Nada Surf où on se comprends si bien. C'était là où était le vrai travail, mais c'était un joli travail !

Et alors comment s'est passé la rencontre avec Juliana ?
MC : C'était pour l'enregistrement de « I wanna take you home », une face B de l'époque de « Lucky » (Album de Nada Surf sorti en 2008, ndlr). C'était génial pour moi qui était un très grand fan des Blake Babies. Après je n'ai pas suivi toutes les étapes de sa carrière mais elle était toujours sur mon radar. J'avais vu les Blake Babies au CBGB en 1991 pour la tournée de « Sunburn » (sorti en 1990, ndlr), un disque que j'adorais. Et donc elle m'avait demandé de chanter sur une chanson à elle, « Such a beautiful girl » sur son album « How to walk away ». Une expérience très cool, on avait l'impression d'être de la même famille musicale, comme si nos ancêtres venaient du même village. Elle est venu plusieurs fois voir Nada Surf à Boston aussi. On ne se connaissait pas vraiment ceci dit.

Est-ce que cette collaboration t'as régénéré au niveau du songwriting ?
MC : Oui, un petit peu. Cette année j'ai fait beaucoup de collaborations, j'ai presque fini un disque avec Michael Lerner de Telekinesis, un super groupe soit dit en passant ! Je suis allé chez lui à Seattle, deux fois dix jours cette année. On cherche encore un nom pour notre groupe. J'ai aussi écrit un petit peu avec Carl Barât des Libertines et Dan Wilson de Semisonic. Ecrire avec les autres c'est quelque chose qui m'intéresse de plus en plus.

Ce qui est vraiment dingue en écoutant le disque, c'est que vos voix se marient vraiment bien ensemble, sur le final de « If i wanted trouble » notamment, un peu comme si vous étiez faits pour vous rencontrer... Qu'as-tu ressenti la première fois que tu as chanté avec Juliana ?
MC : C'était très fort. Après la sortie de son disque, elle m'a demandé de monter sur scène avec elle au Joe's pub à New York. On n'avait jamais chanté ensemble. Je veux dire, en studio, on est chacun dans une cabine et on chante des pistes à part, séparées. Donc, on avait répété un tout petit peu avant le concert, dans les escaliers, avec deux guitares électriques débranchées. Et là il s'est vraiment passé un truc. Après on s'est échangé des emails en se disant que l'on devrait faire un truc ensemble un jour. On aime vraiment chanter ensemble, harmoniser la même note. C'est marrant, comme nos voix sont vraiment similaires, c'est un peu comme faire du « double tracking », quand on double les voix en studio.
(c) Brad Walsh

Le nom du groupe t'a été inspiré par le Mont Ventoux, comment tu as découvert l'endroit ?
MC : Mes parents y allaient depuis les années 1970. Ils sont profs alors on avait de longues vacances. Ils avaient acheté un petit cabanon 2000 dollars sans eau courante et une seule prise d'électricité. Il n'y avait pas assez de place, ma sœur et moi on dormait dans des tentes. Je passais trois mois par an là-bas. J'en parlais avec une amie photographe Autumn Dewilde, je lui ai dis que cette montagne c'était comme des Alpes mineures. Géographiquement, c'est trop loin pour faire partie du massif Alpin mais d'un point de vue géologique, le Mont Ventoux fait partie des Alpes. Elle m'a dit de le noter parce que c'est un bon nom de groupe. Six ans après, Juliana et moi on ne trouvait pas de nom pour notre duo et c'est à ce moment là que je m'en suis rappelé. Une longue histoire (sourire).

Et tu t'inspires souvent de lieux géographiques comme ça ou de voyages pour écrire ?
MC : J'aimerais bien, si seulement... Mais en fait je m'inspire juste d'histoires éternelles. Mais c'est bien pour se changer les idées. Je suis frustré de me concentrer seulement sur l'intérieur ! C'est difficile de changer ça, on fait ce qu'on fait...

Il y a un titre que j'ai beaucoup aimé sur le disque, « Mixed Feelings ». Il y a comme une émotion adolescente dans la chanson, on sort les guitares et on y va...
MC : Oui c'était bien. Elle est très différente des autres titres et on a même hésiter à la mettre sur l'album mais c'était nouveau et on est toujours excité par la nouveauté. Et je la voulais à tout prix sur le disque. C'est rigolo par ce que Juliana est plus punk que moi. Les paroles du premier couplet viennent de Moby Dick. Je voulais éditer un livre ou chaque mot n’apparaît qu'une seule fois. La première page est à peu près normale mais après c'est la dégringolade, ce n'est plus qu'une liste de mots mais une liste intéressante. Le premier couplet je l'ai piqué de cette version éditée bizarrement. Un peu comme « la disparition » de Georges Pérec (un roman entier écrit sans la lettre « E », ndlr).

Ce qui est intéressant aussi dans « Mixed Feeling », c'est un morceau punk mais adapté à ta façon de chanter, assez mélodique...
MC : Encore une fois, on ne peut faire que ce que l'on fait. J'aime beaucoup certains groupes comme Television ou les Talking Heads qui étaient considérés comme punk à leurs débuts. Les Ramones c'est peut-être mon groupe préféré. Avec Daniel (Lorca, bassiste de Nada Surf) au lycée on n'écoutait que du Clash et on avait un groupe de reprises, on répétait une fois par semaine et on ne connaissait que trois chansons des Clash. J'aime beaucoup ce genre de musique mais sans faire partie de cette scène. J'étais punk, d'un point de vue philosophique.

Et à l'opposé il y a « Radio Static » qui est très apaisée, les deux titres se suivent d'ailleurs sur le disque. Il y a comme un grand écart entre acoustique et électrique, le tout sonne aussi un peu plus électronique que d'habitude...
MC : Ouais. En fait on avait deux batteurs en tête pour ce disque Chris Egan et Parker Kindred. Je les connaît de Brooklyn depuis très longtemps. Chris joue avec Solange et Parker joue avec Joan as a police woman et a également joué avec Jeff Buckley. Cela faisait très longtemps que je voulais jouer avec lui mais on ne savait pas où il était. On avait perdu le contact. Et puis j'ai reçu un SMS juste avant de commencer les maquettes. Et il se trouvait qu'il était malade. Chris a du passer plus de temps avec nous du coup. Mais Parker avait amené une vieille boîte à rythme, Roland TR 909, c'était vraiment intéressant de faire des chansons avec une base électronique mais sans ordinateur, jouées en live pour garder un côté humain. J'avais ma guitare acoustique et Parker manipulait les rythmes en live. C'était vraiment bien parce que les choix étaient arrêtés. C'est dangereux d'entrer dans des choix illimités. On se perds en route et on perds du temps aussi. Au début on voulait faire le disque deux fois une version complètement organique et une version électronique. Puis Parker est arrivé et il a dit : « mais non c'est super je veux jouer dessus ». On a combiné les deux.

En écoutant le disque j'ai pensé que « I don't know what to do with my hands », « Mixed Feelings » et «Waiting for you » étaient les trois chansons qui auraient pu être sur un album de Nada Surf...
MC : C'est cool que tu penses ça de « I don't know what to do with my hands », c'est une chanson entièrement écrite par Juliana. C'est pour ça que c'était aussi facile d'écrire avec elle, on a des univers tellement proches. Parfois j'écoutais certaines de ses chansons et je me disais : « J'aurais du écrire ce titre » ! « Waiting for you » a été cosignée avec Daniel et Ira (batteur de Nada Surf, ndlr). C'était une chanson en français de Nada Surf sur « Lucky » (« Je t'attendais », ndlr). Au début je voulais la refaire à l'identique avec un texte en anglais. Puis Parker est arrivé et il m'a dit « tu ne veux pas refaire la même chose ». Il a tellement insisté que finalement on l'a changée (rires) !

Est-ce que tu pourrais me citer trois chansons pour décrire New York City ?
MC : « Teenage Riot » de Sonic Youth, « The only living boy in New York» de Simon & Garfunkel et « Fairy tales of New York » des Pogues, même si ils ne sont pas américains, cela donne un point de vue extérieur. Mais tu as un jukebox dans la tête alors cela pourrait être n'importe quoi (rires)...

Et trois chansons pour décrire Paris ?
MC : J'adore la musique française mais je ne connais pas assez. Je ne sais pas Gainsbourg, Edith Piaf, Renaud que j'aimais beaucoup... Ah oui je sais ! « Give Paris one more chance » de Jonathan Richman et les Modern Lovers.

Est-ce facile de se renouveler sur un plan artistique après tout ce temps ?
MC : Oui et non (soupir)... On se demande pourquoi on écrit des chansons encore et encore, pourquoi on se répète tellement. Pourquoi je chante sur les mêmes thèmes encore et toujours ? Ca peut devenir dur. Pourquoi je joue toujours les mêmes accords ? Mais quand on arrive à se pardonner, cela devient plus facile puis c'est ok. D'abord, ce n'est pas une raison pour arrêter et puis ce qui fait la différence, c'est les autres détails. C'est presque comme dans la vie dans le fond. Trois repas par jour, tous les jours la même chose, pourquoi on se lasse pas après tout ? Parce qu'il y a plein d'autres choses différentes. On se renouvelle comme ça.

Minor Alps, c'est un coup unique « one shot » ou le début d'une carrière parallèle ?
MC : Je ne sais pas, le début d'une carrière parallèle peut-être. Mais maintenant il me faut retourner à Nada Surf. Et puis il y a le disque avec le mec de Telekinesis, c'est les deux projets pour lesquels je veux dégager du temps. Il n'y aura pas d'actualité pour Minor Alps l'année prochaine mais dans deux ou trois ans, pourquoi pas ?

Des nouvelles de Nada Surf ?
MC : On était en studio il y a deux semaines, on a fait cinq maquettes, les prises de base. On va finir cet été j'espère...
En concert le 19 mai à Paris (la flèche d'or)
Propos recueillis le 15/04/2014.

Un grand merci à Matthew Caws pour sa gentillesse et sa disponibilité et à toute l'équipe de la mission qui a arrangé cette rencontre.



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