samedi 17 janvier 2015

Interview avec Black Strobe


Quelques heures avant une prestation d'anthologie, Arnaud Rebotini, leader de Black Strobe, répond à quelques questions entre le dîner et la sieste réparatrice d'avant concert. Rencontre dans les loges du Fuzz'Yon (spacieuses et beaucoup plus confortables que celles des salles parisiennes dans lesquelles on a l'habitude de traîner nos guêtres) à La-Roche-Sur-Yon.

Il y a eu Zend Avesta dans les années 1990, tes albums solo (« Music Components »), la bande originale d'Eastern Boys (film de Robin Campillo), Black Strobe c'est ton côté rock ?
Arnaud Rebotini : Visiblement oui. Jazz aussi (sourires).

Black Strobe a beaucoup évolué depuis les débuts avec Ivan Smagghe...
A.R : Il a complètement changé même. L'album précédent (« Burn your own church », ndlr) date de 2007, l'évolution vers un son moins typé électronique/dancefloor s'est effectuée il y a un petit moment. On a continué dans cette voie là, on a creusé le côté blues qui était apparu sur « Burn your own church ».

Justement ce nouveau disque (« Godforsaken roads »), on peut difficilement le qualifier d'album blues à proprement parler. Pourtant cette influence rôde, plane au dessus de la musique en permanence...
A.R (il approuve) : J'adore cette musique, la country également. Après pour nous, groupe français avec un background électronique, faire un disque de blues, comme peuvent le faire les Américains, ça n'avait pas de sens. L'idée c'était plutôt de faire une sorte de fusion avec quelque chose qui nous soit propre. Un peu comme un western spaghetti. Du blues avec toutes ces thématiques, ultra fantasmées, mais à l'européenne.

Un titre en particulier a retenu mon attention : « Blues fight ». L'intro est assez disco, après il y a une attaque presque metallique des guitares et le titre se termine avec une coda totalement abstraite. Finalement tout Black Strobe est résumé là, en sept minutes...
A.R : C'était un peu l'idée, enfin le morceau s'est goupillé comme ça, comme un condensé du disque. Il y a tout le côté électronique, les grosses guitares. Ca fait un peu métallique parce que le son est dur, mais en fait l'inspiration vient plus du hard rock des années 70, Grand Funk Railroad... Et à la fin les synthés abstraits, un peu seventies.

Qui sont ces gens qui « sont venus au monde par le trou du cul du diable » ?
A.R. : Tous les exclus dont les parents ne se comportent pas très bien par rapport à l'éducation, aux attentes légitimes des enfants.

Tu te sens de l'empathie pour ces personnes ?
A.R (pudique) : Oui, je pense même que j'en fait partie. C'est vraiment un texte sur les marginaux. L'idée vient du public des concerts de hard rock, dans les années 80 ou 90 :une foule de damnés. Ca a bien changé maintenant.

« He keeps on calling me » m'a rappelé le refrain de « Dead Souls » de Joy Division : « They keep on calling me »...
A.R. : Ouais, Joy Division c'était des grands fans de Black Sabbath. Et Black Sabbath était influencé par le blues. Mais la phrase en question vient du morceau « Someone keeps on calling me » de Mississippi Fred McDowell (bluesman des années 1960, décédé en 1972 ndlr).

Quelles sont ces « routes perdues » (traduction française du titre de l'album Godforsaken Roads) ?
A.R. : C'est les mauvais chemins que tu peux avoir empruntés dans la vie... J'aime bien ce titre, les choses oubliées de Dieu, ce qui par définition est difficile. Ca résume bien aussi le parcours un peu sinueux de Black Strobe au fil des années.

Un chemin qui va de l'électro au blues et vice-versa ?
A.R. : Oui, voilà, on peut dire ça comme ça...


Concernant l'aspect visuel du projet. La photo de la pochette a été prise dans une Eglise, justement. Cette référence religieuse m'a questionné. C'est un clin d’œil au gospel ?
A.R. : C'est une référence que je fais souvent. Mon album solo précédent s'appelait « Someone gave me Religion », celui de Black Strobe c'était « Burn your own church ». Là on retournait dans l'Eglise après l'avoir brûlée. Le rapport entre Dieu et le diable, entre ces deux entités, le bien et le mal, c'est quelque chose qu'on retrouve souvent dans la country ou le blues. J'aime bien. Je trouve que ces bases sont philosophiquement proches de notre monde.

Il y a un côté un peu retro dans la pochette avec les titres sur la première de couverture et le logo de Black Strobe records qui rappelle l'ancien logo de Columbia...
A.R. : C'était voulu. C'est d'ailleurs inspiré par des pochettes de Johnny Cash. J'aime bien les graphismes de cette époque, c'est quelque chose qui me parle. On a essayé de le faire de manière moderne tout en gardant les références.

Finalement, c'est un prolongement de la démarche musicale du groupe...
A.R. : Oui, voilà, c'est un peu comme la musique.

Est-ce que tu as crée un personnage pour Black Strobe ? Je me souviens du clip d' « I'm a man » avec les chaussures blanches et la canne...
A.R. : Non il n'y a pas vraiment de personnage. C'est plutôt moi en général. Pour cette vidéo on avait cette idée de créer une sorte de mac un peu seventies. Bon, c'était pour un clip.

Quel est ton rapport au chant ? C'était un domaine qui t'était un peu étranger à la base...
A.R. : Oui. J'ai mis du temps avant de m'y mettre sérieusement. Avant je me contentait de faire des petits bouts. Mais c'était une envie très ancienne.

Tu as trouvé ta voix de chant assez facilement ?
A.R. : Disons que j'ai emprunté des routes maudites, parfois...

En solo tu te produit seul entouré de tes claviers, il y a des boutons partout, cela ressemble au tableau de bord d'un boeing. Et avec le groupe tu te transforme en frontman, en leader. Que dirais-tu si tu devais comparer ces deux expériences, en terme de plaisir ?
A.R. : Ca n'a rien à voir. En ce moment je prends beaucoup de plaisir à faire Black Strobe parce que l'album est neuf. J'aime bien le fait de chanter. Et puis tu vois, là on fait des concerts, le public est attentif, vient vraiment pour écouter de la musique. Dans la techno aussi, mais il y a beaucoup de gens qui viennent pour faire la fête, danser. La musique devient un prétexte pour boire des coups et s'amuser. Les horaires ne sont pas les mêmes non plus, non vraiment cela n'a rien à voir. Et avec Black Strobe il y a un côté plus écrit. En solo j'improvise beaucoup, c'est très différent.

Ca s'équilibre en fait...
A.R. : Oui, exactement.

Pour Black Strobe il y a aussi une grosse activité en matière de synchronisation. Comment ça se passe ?
A.R. : Je ne choisis rien du tout. C'est les projets qui me choisissent. On est sélectionné pour un film et en général on accepte. C'est Beggars, la maison de disque anglaise qui gère ça. En ce moment cela concerne surtout des chansons de l'album d'avant, « I'm a man » en particulier. C'est négocié par le label avec les héritiers de Bo Diddley.

Et en ce qui concerne l'utilisation de ta musique dans les publicités...
A.R. : Cela ne me pose aucun problème d'être associé à une marque. Je ferai même de la musique pour Areva (géant français du nucléaire, ndlr), pas de souci (rires).

Il y a aussi beaucoup de remixes. Ca ouvre des portes au groupe à l'international ?
A.R. : C'était plus par le passé. Les remixes sortent maintenant sous mon propre nom. Il y a vraiment une séparation entre Black Strobe, très rock, et moi producteur typé électronique. C'est un élément parmi d'autres qui fait que le nom circule, ce qui peut nous ouvrir des portes effectivement.

Vous tournez un peu à l'étranger ?
A.R. : Un petit peu, oui.

Tu as travaillé avec Alain Bashung, quel souvenir gardes-tu de lui ?
A.R. (ému) : Il était sur l'album de Zend Avesta. Il venait juste de sortir « Fantaisie militaire » (album de 1998, ndlr) quand je l'ai rencontré. J'en garde un très bon souvenir. C'était un personnage incroyable, qui ne trichait pas, fidèle à son image. Une rencontre artistique hyper forte. Quelqu'un comme lui, forcément ça te marque. On n'en a pas beaucoup en France de cette trempe, de ce niveau.

Propos recueillis le 20 décembre 2014 au Fuzz'Yon (La-Roche-Sur-Yon)

En concert le 25/02 à la Maroquinerie dans le cadre du festival Les nuits de l'alligator.


Un grand merci à Arnaud Rebotini pour sa gentillesse et sa disponibilité, Thibaut, Marion qui a organisé la rencontre, à toute l'équipe du Fuzz'Yon pour l'accueil et aux amis Vendéens qui m'ont accompagné sur la route.

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