dimanche 8 mars 2015

Interview avec Eugene McGuinness

(c) John Bergman

Une fin d'après-midi d'été, quelques heures avant de monter sur scène, on retrouve Eugene McGuinness tranquillement installé dans sa loge. Quelques jours après la sortie de « Chroma », son quatrième album, l'occasion est belle pour discuter de l'écriture, de l'Irlande et de sa notion du succès. Volubile, affable et jovial, la discussion sera émaillée de nombreux rires. Interrogé sur ses nouvelles chansons, Eugene laisse apparaître quelques influences surprenantes de la soul music de Bill Withers au rock heavy de Motörhead. Rencontre...

(c) John Bergman

Ce nouvel album représente un nouvelle étape pour toi. Quelle était l'idée de départ ?
Eugene McGuinness : J'ai enregistré avec Dan Carey. Un producteur avec qui j'avais travaillé un peu par le passé mais avec lequel je n'avais encore jamais fait un album entier. Il adore mes disques mais il avait sa propre vision de ce qu'il ferait avec ma musique. Il voulait limiter les effets de production afin de mieux exposer le songwriting. On n'avait pas l'intention de faire un disque psychédélique ou quoi que ce soit, on voulait faire un album direct, sur tous les plans, même en ce qui concerne les paroles. C'était très difficile pour moi, j'aime bien m'étendre, essayer des trucs bizarres. Mais bon j'étais d'accord avec lui et j'aimais bien l'idée. En même temps, on voulait faire un disque coloré, mais en utilisant les couleurs avec beaucoup de soin. On a fait l'album en deux semaines, ça n'a pas été très long.

L'album est très classique, on pourrait même dire que l'écriture rappelle le Brill Building sur une chanson comme « I drink your milkshake ». En même temps il y a un côté plus dur sur « Black Stang » ou « Heart of Chrome »...
Eugene : Il y a beaucoup de musiques que je ne comprends pas. J'ai parfois l'impression que certains essayent « d'étirer » le songwriting. J'aime bien écrire des choses différentes et tout mélanger ensuite. Ca reflète bien ma personnalité. J'ai ce côté un peu imprévisible. Je peux ressentir des sentiments très différents très rapidement. Je devrais certainement en parler à un médecin (sourire).

Mais non (rires) !
Eugene : Sur tous les albums que j'ai fait jusqu'ici j'ai essayé de mettre cette diversité. Ca se ressent dans ma façon d'écrire. On a limité la production et l'instrumentation pour mieux refleter ma personnalité. Et j'écris des chansons très différentes. Le côté plus dur vient du fait que j'aime bien des groupes comme les Queens of the stone edge ou Motörhead.

Ah bon, vraiment ?
Eugene : Si, si. En ce qui concerne « I drink your milkshake », je voulais faire une chanson à la Bill Withers mais le résultat final est complètement différent. A chaque fois que j'essaye de faire quelque chose de précis, ça ne se passe jamais comme prévu. J'aime l'imprévisibilité, la surprise.

Je pense que « I drink your milkshake » sonne comme les tout premiers Beatles...
Eugene : Oui il y a un peu de ça. J'adore « Use me », la chanson de Bill Withers sur l'album « Still Bill » (1972). Il n'y a pas grand chose, juste un riff très puissant. C'est incroyable, c'est de l'art.

En parlant du côté plus dur de l'album, cela m'a rappelé ton disque avec The Lizards...
Eugene : Oui, tu as raison il y a une similarité. En fait j'aime bien à l'occasion rappeler aux gens que je peux me débrouiller avec simplement une guitare. A chaque fois que je fais un album, les gens pensent : « Ah, ok, maintenant c'est ce que tu vas faire les dix prochaines années ». Cet album c'est une chose. Ca n'est pas un plan de carrière. Ca serait chiant sinon. Cet album c'est maintenant. Le prochain sera, une fois de plus, complètement différent.

Tu ne vas pas devenir une pop star quand même !
Eugene : Non, je déteste les pop stars (rires). J'espère bien que non.

Donc « Chroma » c'est ton disque de songwriter ?
Eugene : Oui je suppose.

Les chansons sont très courtes, l'album dure quelque chose comme trente minutes...
Eugene : Oui, cinq minutes c'est vraiment épique pour moi (rires) !

(c) John Bergman

Un petit mot sur le titre « Chroma » ?
Eugene : Déjà il y a la chanson « Heart of Chrome » que j'aime beaucoup. Ensuite, au studio près de la console, il y avait un énorme logo « Chroma ». J'avais ce mot sous les yeux pendant deux semaines (rires). Ensuite « Chroma » signifie la clarté et la pureté de la couleur et je pensais que c'était quelque chose de très important en ce qui concerne ce disque.

« Fairlight », dans sa version album, est probablement la chanson la plus étrange de ton répertoire...
Eugene : Ouais, elle est dingue ! A l'origine elle ne devait même pas être sur le disque. Elle a été enregistrée avant. Mais on l'a ressorti et on s'est un peu amusés avec. La version single est très cool aussi. Je la voulais absolument sur l'album, cela donne une idée de ce que sera le prochain disque. « Fairlight » pointe dans une direction. Et je pense que je vais aller par là. Je l'ai fait écouter à quelques personnes, tout le monde se demandait ce que j'étais en train de faire. On s'en fout ! Elle est dingue mais je l'adore.

T'étais en plein trip ?
Eugene : En plein trip ouais (rires) !

Ton frère Dominic à son propre groupe maintenant, The Bohicas, il y a un truc à la Oasis entre vous ? (rires)
Eugene (rires) : On vaut mieux que ça ! En fait non pas du tout, on s'entends très bien. J'adore son groupe, ils sont fantastiques ! J'adore ces mecs, j'ai grandi avec eux. J'ai un bon pressentiment à propos des Bohicas, je pense que ça va très bien marcher. J'adore ça.

Tu vas t'impliquer dans le groupe, dans l'écriture par exemple ?
Eugene : Avec Dominic, on va certainement faire de la musique ensemble, dans le futur. Pour l'instant Dominic fait son truc avec son groupe. Mais plus tard on fera un truc ensemble 50/50. Ca va être génial, Superman et Batman réunis (rires) !

Un petit mot sur l'Irlande, tu te sens proche du pays ?
Eugene : Oui, absolument ! Toute ma famille est Irlandaise, il n'y a que moi et mon frère qui sommes nés à Londres. On va très souvent en Irlande, encore maintenant. On a beaucoup d'amis là-bas et notre famille. En grandissant à Londres, on m'a souvent fait sentir que j'étais Irlandais. J'ai cet accent irlandais qui me vient de mes parents. Je me sens Irlandais à Londres et Londonien en Irlande. Aujourd'hui je suis en France et je me sens un peu Irlandais. C'est un mélange, très difficile à décrire. Si l'Irlande était qualifiée pour la coupe du monde de foot, ça n'est pas arrivé depuis longtemps, je serais à fond pour l'Irlande. Mais je supporte aussi l'Angleterre, j'ai plusieurs options (sourire)...

Et d'un point de vue musical ?
Eugene : « Astral weeks » (Van Morrisson, 1968, nda) est un super album Irlandais.

Moondance est très bon aussi...
Eugene : Oui. Moi j'aime « Veedon Fleece » (Van Morrisson, 1974, nda). Il a aussi fait un disque avec The Chieftains, « Irish heartbeat » que j'aime beaucoup aussi. A part ça il n'y a pas beaucoup de musique irlandaise que j'aime bien. Ca pourrait être beaucoup mieux. Il y a quelques chansons de U2, « Stuck in a moment you can't get out of » (2000, nda). Tout le monde se moque de U2, mais il y a quelques chansons qui sont vraiment bonnes.

Tu écris facilement ces jours-ci ?
Eugene : Oui, je n'ai pas à me forcer. Dans le passé, parfois je forçais les chansons, et souvent le résultat était misérable. J'en ai écrites quelques unes cette semaine et j'en suis très content. J'ai commencé à écrire à 15 ans, ça me semble tellement naturel maintenant. Mon succès est très limité et je ne suis pas très célèbre, donc je n'ai aucune pression. Si je deviens très connu et si « Chroma » se retrouve en tête des charts, je serais incapable d'écrire une chanson décente. C'est pourquoi tant de groupes deviennent si mauvais avec le succès. Les chansons deviennent décevantes. Ils sont niqués mentalement à cause de la pression entre autres. Je suis invisible donc j'ai autant de plaisir à écrire, comme quand j'avais quinze ans. C'est très important pour moi. Je suis tout le temps en train d'écrire. Et le résultat est toujours très différent, c'est pour ça que j'adore ça. Souvent c'est la musique qui vient en premier. Quelquefois c'est les paroles. J'écris beaucoup, je laisse ça de côté, après j'ai des idées musicales. Et ensuite je me dis « Tiens ces paroles seraient parfaites pour ça ». Beaucoup de chansons sur « Chroma » sont nées très naturellement, immédiatement. Je me suis assis, une guitare, un papier, un crayon. C'est assez magique.

Tu disais un peu plus tôt que c'était important pour toi de montrer que tu pouvais te débrouiller seul avec une guitare...
Eugene : Moi je n'ai rien à prouver au monde mais j'apprécie les commentaires positifs. Je suis ambitieux mais ce n'est pas non plus une vendetta pour prouver que je suis bon. Et puis tu sais, le monde, en général à plutôt mauvais goût. Je m'en fout un peu. Enfin pas tant que ça quand même. Mes fans ici en France sont géniaux, c'est ce qui me permet de continuer. Je n'ai pas beaucoup de fans mais je les adore. Ils sont brillants. Je ne veux pas paraître cheesy mais c'est vraiment très important pour moi, ça me permet de continuer à vivre mon rêve. T'enregistres un album, tu fais ton concert, les gens sont contents. C'est génial. Je ne rêve pas de remplir les stades, je ne veux pas faire de duo avec Beyonce, je n'ai pas envie d'être habillé comme un idiot. Je veux juste être moi-même. Et jusqu'ici j'y arrive et ça j'apprécie beaucoup. C'est vraiment cool, je veux continuer comme ça. Ma musique changera en veillissant. C'est comme ça que je veux faire les choses.

Propos recueillis le 08/07/2014.


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